He's a superhero growing bored with no one to save anymore

"Whenever you feel like you haven't accomplished anything, just remember that Ben Gibbard released Transatlanticism and Give Up in the same year (2003) at age 27 and feel a bit worse."

Je suis tombée sur ce tweet de @DrewG7 dans un moment d'errance sur ma timeline entre deux devis et une note de droits d'auteur et voyant mes 27 ans m'arriver dessus à grande vitesse, j'en ai profité pour faire l'une de ces mini crises existentielles de chronic underachiever dont j'aime jalonner mes journées. D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours aimé me fixer des objectifs de vie improbables et en parler à tout le monde autour de moi pour qu'ensuite on vienne me rappeler que j'avais une fois de plus dérogé à des obligations qui n'engageaient que mon propre ego. À 2 ans je voulais être un guépard, à 4 ans je voulais être Albert Falco pour plonger sous les ordres du Commandant Cousteau et gratter du requin. À 9 ans je voulais être Jean-Paul Gaultier parce que j'aimais beaucoup ses publicités faites de matelots musclés à rayures et que je dessinais énormément de robes (sans jamais en porter pour autant), à 15 ans je voulais être Lester Bangs, à 16 ans une variante de James Bond (ça n'a duré que 2 semaines) et à partir de l'année suivante et de mon arrivée à Paris, toute notion d'ambition professionnelle a disparu dans un nuage de confusion, jusqu'à environ mes 22 ans où une forme d'ivresse du pouvoir, la lecture d'un bouquin de Patrick Biskind sur la naissance du cinéma indépendant américain moderne et le babysitting de divers producteurs pendant un festival de cinéma pour lequel je bossais en Islande m'ont poussé à commencer à déclarer à de nouvelles personnes que désormais, j'allai être le Harvey Weinstein de la France, merci de mettre à jour vos notes sur ma personne. Nous étions en 2014 et le nom Weinstein n'avait pas exactement les mêmes connotations qu'aujourd'hui, et, si j'avais bien conscience que le bonhomme avait du rouler sur plus d'une personne pour se constituer un tel CV, le fonctionnement de mon cerveau d'alors était différent et dans ces périodes d'ultra-ambition, je n'avais guère de considération pour les autres. Il s'avère que, de tous les plans de vie plus ou moins foireux que j'ai pu envisager à un moment, c'est avec l'option Weinstein que j'ai décidé de persévérer, et deux années plus tard je sortais enfin d'un système scolaire où je ne m'étais que trop attardée, un M2 en production cinématographique en poche accompagné du goût désagréable laissé par un stage de fin d'études qui m'avait poussé aux limites de la raison. Bon gré, mal gré, je suis rentrée dans la vie active au bout de quelques mois, parce que passer chaque journée de sa vie à regarder It's Always Sunny In Philadelphia en consommant une trop grande quantité de weed n'est apparemment pas un "plan de carrière durable" et qu'on allait bien finir par me couper les vivres. Fast forward jusqu'à aujourd'hui, j'ai passé 2 ans et demi à ramasser mes dents à diverses occasion et j'ai commencé à adresser tout ce qui ne tournait pas rond chez moi. J'occupe désormais un poste qui, dans l'absolu, est en parfaite adéquation avec les ambitions de mes 22 ans. Je suis dans le cinéma, je suis dans la production, je travaille avec des auteurs qui reçoivent des prix dans des festivals prestigieux et je devrais être plutôt satisfaite d'être sur les rails mais comme ça serait beaucoup trop facile, il n'en est rien. Occasionnellement je suis un peu excitée par mon job pendant deux minutes en pensant à la perspective de côtoyer X ou Y, de potentiellement partir dans un pays exotique pour un tournage, de voir un de nos films sélectionnés dans un festival de catégorie A, puis rapidement l'excitation est remplacée par un mélange de lassitude et d'ennui, car X est en réalité un connard fini (mais talentueux ! et les artistes, contrairement à moi, possèdent des passe-droits pour être des têtes de bites), que les responsabilités dans le pays exotique iront finalement à quelqu'un d'autre, et que pour ce qui est des festivals de catégorie A, j'ai déjà bossé à deux reprises pour le plus renommé de tous et en réalité c'est surtout beaucoup trop de personnes que je ne peux plus faire semblant de tolérer depuis que je suis sobre réunies dans un même espace où l'entre-soi est roi.

Quel rapport alors avec Death Cab alors, mis à part que je suis mal barrée pour sortir mes Transatlanticism et Give Up personnels dans l'année à venir ? Contrairement à ce cher Benjamin Gibbard, qui sort de la musique régulièrement depuis ses 20 ans, je suis généralement infoutue de me tenir à une bonne résolution et de me consacrer pleinement à un projet sur le long terme. Je suis également incapable de courir des ultra-marathons, ce que Ben fait régulièrement depuis qu'il a arrêté de boire y'a une décennie désormais. J'en suis pour ma part à 478 jours de sobriété  D'un point de vue externe le garçon semble bien avoir sa vie en main, toutes ses interviews récentes donnent l'impression d'avoir affaire à une personne avec la tête bien vissée sur les épaules, capable d'introspection sur ses années d'errances et juste reconnaissant d'être ressorti de son tunnel de merde personnel avec toujours la capacité de créer, et de sortir des albums remarquables à un âge où ses contemporains ont soit raccrochés les crampons, soit abandonné l'idée de refaire un jour leur propre Tiny Vessels, s'enfermant dans des cycles de nostalgie un peu pathétiques ponctués de dates en festival plus motivées par la nécessité de nourrir leurs gosses que par une réelle envie de prouver qu'ils ne sont pas juste là pour nous faire revivre nos 15 ans. Je ne critique pas la nécessité bien réelle de pouvoir assurer une sécurité financière pour leurs familles, c'est plus que je n'aime pas trop qu'on me rappelle ma propre mortalité car je sais très bien faire ça moi-même. Après, je suis également très bien placée pour savoir qu'il est facile de projeter une façade de relative stabilité pour dissimuler un chaos interne qui menace à tout instant de prendre le dessus. Je pense et j'espère que ça n'est pas le cas chez Ben. Thank You For Today est le remarquable produit de quelqu'un qui a fini par rejoindre le bon côté de la rive et qui dispose désormais d'un recul suffisant pour aussi se projeter sur l'après.


Finalement j'ai surtout voulu faire ce post car, dans les célèbres mots de Matthew M., time is a flat circle. Le tout dernier article que j'ai publié sur ce blog avant 6 années de hiatus avait pour titre prémonitoire des paroles d'un titre du Postal Service sur une séparation et contenait une petite review de leur passage au Trianon. La vie s'est écoulée, et Ben et Death Cab sont revenus au Trianon. Je sais pas s'il y avait une sorte de symbolique là dedans, mais ayant toutes les peines du monde à prendre de vraies décisions toute seule, j'ai décidé ces derniers temps que ces coïncidences étaient des "signes du destin" et que comme je suis fichtrement incapable de donner moi même du sens à mes actions, pourquoi ne pas après tout suivre ces fameux signes ? Pourquoi ne pas voir dans le faire-part de mariage à Reykjavík d'un ami 4 jours après la fin de mon contrat autre chose qu'une bonne raison de ne pas le renouveler et d'en profiter pour partir faire une retraite dans un fjord pour enfin me consacrer pleinement aux choses que j'aime ? Quelles actions concrètes puis-je mettre en mouvement pour ne plus être un spectateur passif de mon existence ? Est-ce que j'aurai un jour un contrôle suffisant sur ma dépression pour la transformer en Transatlanticism et/ou en Give Up ? Que vais-je faire de mes 27 ans, âge le plus symbolique pour ceux qui, comme moi, ne peuvent s'empêcher de comparer systématiquement leur existence avec celles des plus éminents membres de leur bibliothèque iTunes ? Pour l'instant je vais juste essayer de pas continuer à "feel a bit worse" à chaque rappel que le temps passe et ça sera déjà pas si mal.

Photo : Saint-Agrève, 23/12/2017

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